Technique - Comment la stratégie de course est-elle élaborée ?
Comment les ingénieurs d’une écurie de Formule 1 déterminent-ils la stratégie de course de leurs pilotes ? L’un d’eux nous explique que cela n’a rien une science exacte et que l’intuition joue encore un beau rôle.
Photo de: XPB Images
Ayao Komatsu, ingénieur de courses en chef chez Haas F1 Team, nous confirme qu’une partie de son travail consiste à déterminer la meilleure stratégie pour Romain Grosjean et Esteban Gutiérrez.
Quel est le facteur le plus important à considérer lors de la planification d'une stratégie ?, lui demandons-nous. “Les pneus,” répond Komatsu, suivi d’un long silence angoissant. “Les pneus, car tout repose sur notre compréhension des pneus ; comprendre leur longévité, la différence entre les différents types ainsi que les écarts de performance et de durabilité des gommes offertes.”
Komatsu, qui a occupé le même poste chez Lotus précédemment, poursuit en précisant que les autres facteurs sont, en fait, assez négligeables. “Par exemple, la consommation de carburant ne varie pas. Tout le monde embarque 100kg de carburant ; nous n'avons donc aucune influence sur ce facteur. La consommation d’essence ne variera pas durant la course tandis que le comportement de pneus, lui, va énormément évoluer.”
Validation
Komatsu nous indique comment le comportement des pneus est validé par l’équipe. “Selon notre expérience des années précédentes, nous avons quelques prévisions. Nous combinons ces prévisions aux données récoltées lors des EL1 et 2, et effectuons quelques corrections. La dégradation des pneus est le facteur principal qui influence la course. Le but principal d’EL2 est justement d’effectuer de longs runs en piste pour constater le degré de dégradation des pneus, et ainsi disposer de nos propres données. Puis, avec le roulage en EL3 et en qualifications, nous pouvons déterminer notre niveau de compétitivité en course. Nous recalculons alors nos prévisions, et notre décision finale est basée sur ces conclusions,” explique-t-il à Motorsport.com.
Il faut savoir qu'un pneu à gomme tendre procure beaucoup de grip, mais se dégrade rapidement. On sait aussi que certaines voitures sont moins dures sur leurs pneus, et que certains pilotes usent moins leurs pneus, comme le fait Sergio Pérez.
Il faut aussi tenir compte du point de croisement entre les différentes gommes. Après avoir parcouru un certain nombre de tours, un pneu de gomme A devient plus lent qu’un pneu neuf de gomme B. C’est à ce moment que la majorité des pilotes doivent effectuer un changement de pneus.
“D’après nos données archivées, nous connaissons le niveau de dégradation des pneus,” poursuit Komatsu. “Nous pouvons aussi déterminer quelle sera le niveau de dégradation des pneus entre vendredi, samedi et dimanche, en tenant compte de l’évolution du grip de la piste. Ce n’est pas scientifique à 100%, car les conditions changent toujours un peu ; il peut pleuvoir, il peut faire plus frais ou plus chaud que prévu, des courses de soutien peuvent ajouter du caoutchouc sur la piste, etc.”
Pour les écuries, il est essentiel de prédire, avec le plus de précision possible, le moment où un pneu atteint ce point de croisement, en d’autres mots, ce moment où il commence à pénaliser son pilote par des chronos de plus en plus lents.
Les ingénieurs doivent aussi estimer avec précision le temps perdu lors du tour d’entrée aux stands, le temps perdu à rouler sur le limiteur de vitesse, le temps du changement de pneus puis le tour de sortie des stands. Cela est validé durant les essais quand on demande aux pilotes d’effectuer des simulations d’arrêts.
Gérer le trafic
Nous demandons à Komatsu si la meilleure stratégie de course est celle qui permet de parcourir les 300km d’un Grand Prix en moins de temps possible. “Pas vraiment, car cela dépend essentiellement du trafic,” répond-il. “Par exemple, à Monaco, sur papier, la course la plus rapide est effectuée en deux arrêts. Par contre, vous ne le ferez pas, car après votre deuxième arrêt, vous allez vous retrouver dans le trafic, coincé derrière des voitures plus lentes que vous, sur un tracé où il est presque impossible de doubler. Tout dépend donc des possibilités de doubler. Sur certains circuits, si un arrêt ne vous coûte que 10 secondes, vous le ferez. Au Bahreïn, où il est plus facile de doubler, nous adoptons la stratégie de course la plus rapide.”
Toutes les variables de la monoplace sont incorporées dans un chiffrier qui permet aux ingénieurs de déterminer la meilleure option de course. Évidemment, les variables peuvent être changées afin de constater les effets sur le déroulement de la course.
Komatsu précise qu’il est important de disposer d’une marge de manœuvre et de pouvoir procéder à des ajustements. “Nous élaborons un plan A, ainsi qu’un plan B. Si un pilote est coincé derrière un rival plus lent, nous déterminons le moment où nous pouvons le faire rentrer sans que cela n’allonge pas trop le temps total de sa course,” explique-t-il. “Avant le départ, nous déterminons, par exemple, que notre pilote doit effectuer son arrêt au 25e tour. Nos calculs nous indiquent l’incidence sur le temps total de la course qu’aura cet arrêt s’il est exécuté cinq tours plus tôt, ou cinq tours plus tard.”
Des délais très courts
“C’est moi qui prend la décision finale sur la stratégie. Nous attendons toujours au dernier moment,” déclare Komatsu. “Parfois, les conditions sont un peu folles, comme ce fut le cas cette année à Monaco. Les conditions changeaient extrêmement vite, nous sommes rapidement passés des pneus pluie aux intermédiaires et aux secs. Nous attendons toujours les informations provenant du 2e secteur du circuit. Par contre, la fin du 2e secteur est toujours très près de l’entrée des stands ; le moment où il faut prendre la décision et appeler le pilote. Il arrive que je doive prendre une décision en cinq secondes. Et parfois, je dispose de 30 secondes. Est-ce stressant ? Non, c’est notre métier et nous aimons cela. Ce n’est pas facile, et nous commettons parfois des erreurs. Mais nous tentons d’être exact le plus souvent possible !”
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