Chronique Cyndie Allemann - "Au Mans comme en Indy, Alonso avait plus à perdre qu'à gagner"
Notre chroniqueuse revient sur les dernières 24 Heures du Mans, qui ont vu triompher Sébastien Buemi aux côtés d'un certain Fernando Alonso, au volant d'une Toyota à qui la chance a enfin souri.
Photo de: Michael L. Levitt LAT Photo USA
Cyndie Allemann
Cyndie Allemann est une pilote automobile suisse née le 4 avril 1986 à Moutier. Issue d'une famille de passionnés de sports mécaniques (son père Kurt et son frère Ken ont remporté plusieurs titres de champion de Suisse de karting), Cyndie s'installe pour la première fois au volant d'un karting à l'âge de 7 ans. En juin 2010, elle a participé aux 24 Heures du Mans en compagnie de Natacha Gachnang et de Rahel Frey au volant de la Ford GT numéro 61 de l'équipe Matech GT Racing. Elle est actuellement animatrice en télévision dans l'émission Grip-das Motormagazin sur RTL2, mais également propriétaire d'un team de karting suisse, le Spirit Karting AG.
Ils ont enfin réussi : bravo à Toyota ! Compte tenu de ce qu'il s'est passé durant toutes ces années pour eux, cela fait tout de même chaud au coeur qu'ils soient enfin parvenus à décrocher la victoire.
Bien sûr, on peut toujours discuter du fait qu'ils aient été le seul constructeur présent. Personnellement, cela m'a fait un petit pincement au coeur, à contrario, que la course se déroule sans Audi et Porsche. Et puis tout cet argent dépensé pour les LMP1 hybrides, tout ça pour ne plus retrouver qu'un seul constructeur présent... C'est vraiment dommage.
Je pense toutefois que parvenir à remporter les 24 Heures du Mans n'est jamais aisé. Il peut se passer tellement de choses, que ce soit en piste ou en dehors, qu'il s'agisse d'une erreur de pilotage ou d'un problème mécanique.
Toyota alignait deux équipages très, très forts, mais il faut aussi une part de chance pour parvenir au bout d'une course si longue. On dit d'ailleurs souvent que c'est Le Mans qui choisit son vainqueur, et le constructeur japonais est bien placé pour le savoir...
Après l'épisode terrible de 2016, c'est aussi super de voir Sébastien (Buemi, ndlr) remporter enfin cette course ! Il se bat depuis longtemps au Mans, il a été Champion du monde d'Endurance, il est très impliqué dans le développement de la voiture, il le mérite vraiment. Pour moi, il devait gagner.
Alonso prouve à quel point il est fort
À ses côtés, Alonso a bien sûr de la chance de l'avoir emporté dès sa première participation mais, dans la vie, la chance se provoque aussi. On ne peut que tirer son chapeau devant la prestation du pilote espagnol, qui s'est mis au niveau de pilotes présents depuis plusieurs années dans ce même bolide ! Il a répondu présent et cela n'a rien à voir avec la chance, même s'il en faut inévitablement un peu pour remporter les 24 Heures.
J'imagine qu'Alonso va à présent viser un retour sur l'ovale d'Indianapolis au plus vite. L'objectif de la triple couronne peut peut-être sembler constituer un lot de consolation pour lui qui ne parvient plus à disputer le titre en F1, mais ceux qui pensent cela ont tort. Alonso avait beaucoup à perdre en disputant des courses dans des compétitions qu'il ne connaissait pas. Imaginez à quel point il aurait été critiqué s'il n'était pas parvenu à être performant, que ce soit dans une IndyCar ou dans une LMP1. Vraiment, au départ, il avait plus à perdre qu'à gagner.
Or, on voit un pilote qui est au niveau, qui aime ce qu'il fait, qui a faim de performance et de victoire, qui aime le sport automobile pour ce qu'il est. Il s'est adapté aux différentes voitures, avec beaucoup de maîtrise et en prenant du plaisir, cela prouve à quel point il est fort.
Il a également beaucoup de courage d'enchaîner autant de semaines de compétition cette année... Les courses en elles-mêmes, je ne pense pas que ce soit ce qui le fatigue le plus. Mais la pression qui va avec, les sollicitations très nombreuses de l'équipe, de la presse, les voyages,... C'est vite épuisant.
Dans la voiture, il est coupé du monde, il est connecté à l'équipe via la radio, il est concentré sur la piste et le reste n'existe plus. Mais en dehors de la piste, enchaîner tant de sollicitations et de trajets ne doit vraiment pas être simple... Même s'il ne doit plus trop ressentir de pression à l'heure actuelle en Formule 1, étant donné que sa voiture ne lui permet pas d'évoluer aux avant-postes.
Cela dit, il a dû se remettre des 24 Heures du Mans en 3 ou 4 jours et ça, c'est très difficile. C'est une course où l'on perd beaucoup d'eau, étant donné la longueur des relais et la chaleur dans l'habitacle. Il est vraiment indispensable qu'un pilote comme lui, qui roule autant en 2018, soit très, très bien entouré au niveau médical.
La logique des constructeurs n'est pas toujours compréhensible
Pour le reste, la situation actuelle de l'endurance pose pas mal de questions. C'est clair, il faut des constructeurs. Mais aujourd'hui, ils se dirigent tous vers la Formule E. Je ne comprends pas toujours la logique. Porsche, par exemple, a consacré un budget immense au développement de sa technologie hybride pour la LMP1, pour finir par quitter rapidement la compétition suite au dieselgate. Et bien d'autres exemples se trouvent dans l'histoire du sport automobile.
Cette année, les 24 Heures ont aussi bien fonctionné auprès du public car, côté pilotes, il y avait quelques personnalités très importantes. Mais en endurance, rien ne vaut une compétition entre constructeurs de prestige. Le niveau de compétition est toujours plus élevé dans ces cas-là et l'édition 2018 l'a bien démontré : Rebellion ou SMP n'étaient évidemment pas en mesure de concurrencer Toyota.
Je ne suis pas favorable à un championnat qui se déroulerait entre équipes privées, sans les constructeurs, tout simplement car cela ne s'inscrit pas dans l'ADN de l'endurance. Les gens adorent voire des duels entre Audi et Posche, par exemple. Les grandes batailles se déroulent entre les grandes marques, qui développent des châssis se distinguant qui plus est les uns des autres, là où les teams privés sont obligés d'employer des châssis clients.
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