Interview - Une stratégie plus agressive pour Michelin au Mans
Photo de: Lucien Harmegnies
A moins d'un mois des 24 Heures du Mans, le manufacturier clermontois se prépare activement pour l'épreuve phare des courses d'Endurance. Fort de 17 succès consécutifs, Michelin devra en effet tenir son rang dans la Sarthe.
Pour atteindre une 18e fois ce niveau d'excellence les 13 et 14 juin prochains, la marque française n'a pas hésité à pousser ses pneumatiques dans leurs derniers retranchements.
"Notre objectif cette année sera d'optimiser les performances de chacun des pneus que nous proposerons", déclare Pascal Couasnon, directeur de Michelin Motorsport. "2014 a été une saison charnière, de transition pour nous, avec l'instauration de pneus plus étroits de six centimètres. Nous nous étions alors concentrés sur la conservation du grip, et ce en dépit d'une zone de contact moins importante sur la piste."
Une modification du règlement technique l'an dernier avait en effet contraint Michelin à réduire la largeur de ses enveloppes en LMP1, pour passer de 36 cm (à l'avant) et 37 cm (à l'arrière) à 31 cm. Malgré cela, la manufacture clermontoise avait réussi à maintenir à la fois le niveau de performances mais aussi la longévité de ses gommes. Plusieurs trains de pneus étaient même parvenus à réaliser des quadruple relais.
Fenêtre de tir
La durée de vie de ses pneumatiques assurée, Michelin se focalise donc cette année sur la performance pure.
"Cette saison, nous faisons tout notre possible pour rendre nos gommes encore plus efficaces dans leur fenêtre d'utilisation", reprend Pascal Couasnon. "L'an passé, nous avions adopté une démarche prudente, en développant des pneus très polyvalents mais peut-être pas suffisamment différents les uns des autres."
Afin d'augmenter le niveau d'adhérence de ses pneumatiques, Michelin a adopté, une fois n'est pas coutume, une stratégie agressive.
"Nous voulions cette année augmenter notre niveau de performance dans une fenêtre d'exploitation donnée. Nous avons donc resserré ces fenêtres afin de faciliter pour les équipes le choix du meilleur pneumatique. Parallèlement, nous avons aussi augmenté le niveau de performance de nos pneus à l'intérieur desdites fenêtres."
Nous avons resserré les fenêtres d'utilisation tout en augmentant le niveau de performance de nos pneus dans celles-ci
Pascal Couasnon
Une stratégie agressive qui fonctionne : les voitures de la catégorie LMP1 affichent cette année des chronos largement inférieurs à ceux des années précédentes. On estime ainsi à cinq secondes, peut-être plus, le gain de temps sur un tour du circuit du Mans.
Une vélocité qui n'effraie pas outre mesure le patron de Michelin Motorsport : "Il est clair que les vitesses de passage en courbe ont considérablement augmenté. Malgré cela, nous avons tout de même réussi à maintenir à un niveau décent l'usure de nos gommes."
Étroite coopération avec les équipes
Beau joueur, Pascal Couasnon salue aussi le travail des équipes : "Nous avons certes haussé notre niveau de jeu cette année. Mais cette hausse de la performance globale des voitures provient également du travail abattu par les teams au niveau des châssis, de l'aérodynamique, ainsi que des moteurs."
La relation avec les équipes, un élément prépondérant pour Michelin, qui travaille en étroite collaboration avec les constructeurs. "Durant toute la saison, nous appliquons un procédé très itératif afin de bien comprendre le fonctionnement de nos pneus avec le châssis. Nous essayons de récolter le plus de feedbacks possibles, afin de s'assurer que nous allons dans la bonne direction."
Le plan de marche est quant à lui fixé à l'intersaison : "Un cahier des charges est par la suite déposé en concertation avec chacune des équipes, lors de la trêve hivernale. Nous effectuons alors des essais avec des loupes de développement sur des points précis que nous souhaitons améliorer. Ce n'est qu'une fois le "target" atteint que nous figeons les solutions qui seront appliquées en cours de saison."
Un travail qui porte souvent ses fruits, comme en témoigne l'expérience de Porsche. En 2014, pour son retour en Endurance, le prototype de la marque allemande s'est certes révélé rapide, mais aussi trop gourmand en pneumatiques. Une coopération entre Porsche et Michelin a alors permis de mieux aménager le châssis pour soulager les enveloppes. Avec un résultat probant : la 919 Hybrid a été la plus véloce lors du prologue au Castellet, avant de jouer des coudes avec Audi lors des deux premières courses de la saison, à Silverstone puis à Spa.
Mais les besoins peuvent s'avérer très variés en fonction des équipes. Dans le cas de Toyota par exemple, l'objectif est de réaliser un relais supplémentaire par rapport à la concurrence. La TS040 Hybrid, disposant d'un V8 atmosphérique essence, est en effet connue pour sa consommation accrue en carburant. Conséquence : les voitures japonaises sont contraintes de rentrer au stand pour faire le plein plus souvent que leurs adversaires. La marque nippone cherche donc à contrebalancer cette situation en économisant un relais pneumatiques. Là encore, la concertation entre le constructeur japonais et le manufacturier français est essentielle pour remplir l'objectif fixé.
Le défi de la Nissan GT-R LM Nismo
Cependant, c'est une autre marque japonaise, Nissan, qui est à l'origine du plus important casse-tête de Michelin cette année. Après ses concepts détonants présentés dans le célèbre "Garage 56" du Mans, avec la DeltaWing en 2012 et la ZEOD en 2014, Nissan effectuera son retour en LMP1 après seize ans d'absence, avec une machine qui se veut une nouvelle fois révolutionnaire.
Le moteur de la Nissan GT-R LM Nismo présente en effet la particularité de se situer à l'avant de la voiture. Un concept à rebours des conventions observées depuis plus d'un demi-siècle, et qui ne devrait pas manquer de créer le buzz dans la Sarthe. Le système de transmission se situant lui aussi à l'avant, la répartition des masses, le centre de gravité et donc les contraintes sur les pneumatiques n'ont rien à voir avec les autres prototypes.
A voiture spécifique, pneus spécifiques. A l'inverse des autres LMP1, qui roulent en 18 pouces, la GT-R LM Nismo requiert des 16 pouces... Des pneus dans l'ensemble moins hauts donc, mais aussi moins larges sur le train arrière (20/71-16) que sur le train avant (31/71-16). Une demande initiale de Nissan, qui souhaite faire de sa voiture un véritable monstre de vitesse dans la ligne droite des Hunaudières.
Néanmoins, ces dimensions pourraient être remises en cause par les récents essais menés en avril par la marque japonaise sur le NCM Motorsports Park, aux États-Unis dans le Kentucky.
"Pour le moment, ils sont revenus sur ces dimensions", explique Pascal Couasnon. "On semble à présent rester sur du 16 pouces à l'arrière, mais on se dirige sur du 18 pouces à l'avant. Ces éléments seront sans doute amenés à évoluer d'ici le Mans, car beaucoup de choses restent encore à découvrir sur la voiture."
Concernant la GT-R LM Nismo, on se dirige à présent sur du 16 pouces à l'arrière et sur du 18 pouces à l'avant
Pascal Couasnon
Le développement global de la GT-R LM Nismo a en effet pris du retard après que la voiture se soit faite recalée à son homologation, lors de son premier crash-test, en raison d'une défaillance de l'arceau de sécurité. Une mésaventure qui a empêché la voiture de prendre part au Prologue ainsi qu'aux deux premières manches de la saison.
Reste que le projet de Nissan, qui est de détenir quatre pneus moins hauts et deux pneus arrière moins larges, demeure pour le moment en suspens. Ces dimensions atypiques ne font en effet que renforcer les contraintes pesant sur les pneumatiques. Pour résoudre le problème, Michelin propose pourtant des solutions : "La hauteur des flancs est plus élevée, et ce notamment pour aider à porter la charge", détaille le patron de Michelin Motorsport.
Quid du LMP2 ?
Au même titre que pour la Nissan, les ambitions de Michelin devraient rester modestes en LMP2. A la différence du LMP1, où le manufacturier est souverain depuis près de deux décennies, la situation est bien différente dans cette seconde catégorie.
Michelin n'a effectué son retour en LMP2 qu'en 2013, mais peine à contester la suprématie de Dunlop. Mais là encore, la manufacture clermontoise avance pas à pas : "L'an passé, nos performances aux 24 Heures ont été moyennes", admet Pascal Couasnon, "Mais je pense que nous sommes revenus cette année à un niveau bien plus acceptable. Notre évolution prend du temps. L'objectif cette année est de nous montrer plus compétitifs qu'en 2014. Nous continuons à emmagasiner de l'expérience, mais nous ne visons pas la victoire dans cette catégorie pour le moment."
Pour le moment... car loin de prendre la catégorie de haut, Michelin entend bien aussi s'imposer à terme en LMP2.
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