Alguersuari Sr - Personne ne pense aux familles des pilotes !

C'est quelques minutes après la première course du meeting de Spa-Francorchamps que nous avons rencontré Jaime Alguersuari. Cette épreuve avait délivré une lutte pour la victoire époustouflante, le top 5 se tenant en moins de trois secondes, avec le succès d'Egor Orudzhev.

Aussi est-ce un Alguersuari optimiste que nous avons rencontré, mais également conscient des temps difficiles que traverse le monde du sport automobile.

Motorsport.com - Quel bilan tirez-vous de ce début de saison dans ce nouveau championnat, bien qu'il ne soit pas vraiment nouveau ?

Jaime Alguersuari Sr - Premièrement, il faut dire que ce n'est pas un secret que l'on a une crise incroyable dans le monde économique. Il est également clair que le vrai sponsor des pilotes, c'est la famille. C'est quelque chose de clair que personne ne dit mais qu'il faut dire. Le soutien familial permet de faire ce sport très cher. Très cher. Vous avez vu cette année la F3 Europe qui était un succès l'année passée, c'est juste, cette année, avec 20 pilotes seulement [22, ndlr]. Même le GP2, même le GP3. En général, on est en grande difficulté.

Malgré tout, nous avons un championnat dont les pilotes sont jeunes et très, très compétitifs. C'est peut-être une génération extraordinaire, il faudra attendre la finale du championnat pour l'affirmer définitivement. Mais à mon avis, nous avons vraiment une génération extraordinaire de pilotes.

Vous avez vu cette course, c'est difficile pour ne pas dire impossible de voir ça en F1. Cinq voitures qui se tiennent les unes les autres en moins d'une seconde. Après 45 minutes à presque 200 km/h de moyenne ici. C'est pour ça que je suis très content. En même temps, je suis très optimiste pour l'année prochaine.

Cette course très serrée que nous avons vue aujourd'hui, selon vous, c'est le fruit de la Dallara utilisée, c'est le fruit des pilotes… ?

La théorie est simple. Ce n'est pas un championnat d'ingénieurs. La définition unique de la F1, c'est un 'championnat d'ingénieurs'. Point. Ce n'est pas un championnat de pilotes, c'est un championnat d'ingénieurs. Je veux dire ça clairement. Le modèle à suivre est un championnat d'ingénieurs.

La définition unique de la F1, c'est un championnat d'ingénieurs.

Jaime Alguersuari Sr

Tous les autres championnats, nous compris, sont des championnats de pilotes. La même voiture, la même aérodynamique. Cela veut dire que sur le niveau, la qualité, le talent des pilotes sont élevés. Il n'y en a pas qu'un ou deux, c'est très élevé en général. Cela me plaît beaucoup.

Même si le niveau des pilotes reste élevé, votre objectif était d'avoir 18 voitures, et pour l'instant, nous sommes à 15.

Il y en a 15, de la même manière que le GP2, qui est le championnat de référence parce qu'il est à côté de la F1, doit en avoir 26 mais n'en a que 22. Ou la F3 Europe qui doit en avoir 30 ou plus mais n'en a que 20. C'est un moment de crise. Pour votre information, c'est une année très compliquée.

C'est un avertissement pour tout le monde. Ça veut dire que l'échelle de prix doit cesser d'augmenter, voire baisser. Tout le monde croit que c'est la F1, que c'est un oiseau qui vient avec l'argent. Non, non, non ! Ce sont les pères qui payent. Ce sont les familles. Il faut travailler pour les familles et pour les pères. Même la FIA, et même la F1. Mais c'est impossible.

Je suis un père de l'Église. Je fais mon discours tous les jours avec la même idée : pour l'amour de Dieu, on doit protéger ça ! Mais personne n'y pense ! La conséquence, c'est cette situation de crise, dont j'espère qu'elle sera un peu mieux pour tout le monde l'année prochaine.

Plusieurs équipes ont quitté le championnat à la dernière minute. Pourquoi ce départ si tardif pour Pons, pour Tech 1 ?

Il n'y a pas de clients pour tout le monde ! Parlez avec Bruno Michel si vous avez l'occasion et demandez-lui : "Pourquoi n'en avez-vous pas 26 ?" Pour la même raison.

En sport automobile, on part de la base qu'est la F1. À mon modeste avis, c'est une idée absolument folle. Et tout le monde croit que le reste de l'automobile fonctionne de la même manière. Et ce n'est pas vrai ! Le plus important, c'est que ceux qui payent sont les pères ! L'automobile monoplace, c'est une question de parents ! Mon travail et mon angoisse, c'est pour les parents ! Cela fait quinze ans que je le dis !

En sport automobile, on part de la base qu'est la F1. C'est une idée absolument folle.

Jaime Alguersuari Sr

C'est vrai qu'il y a une quantité de pilotes qui ont une famille riche. Mais ça m'attriste beaucoup. Vous, par exemple. Vous avez la stature, le poids parfait. Pourquoi ne pouvez-vous pas devenir un pilote de talent ? L'argent. La famille, le père.

Si on demande à M. Jean Todt ou à M. Ecclestone : 'Le sport automobile est-il un sport de riche ?', [ils répondent] 'Non, non, non', mais ce n'est pas vrai du tout. C'est un sport de riche. Et ça me brise le cœur. Les sacrifices que l'on a là, c'est incroyable. C'est vrai qu'il y a des riches. C'est vrai. C'est vrai.

Le sport automobile en-dehors de la F1 dépend des parents. Pas de la publicité, des parents. Il faut réfléchir, tout le monde, à l'importance capitale des parents. Même la FIA, la première. La monoplace ne doit pas devenir un sport de familles riches. Ce n'est bon pour personne.

Liberté, Égalité, Fraternité

Si vous pensez que la Formule 1 n'est pas adaptée dans son état actuel, que changeriez-vous ?

Je donnerais la phrase qui définit l'État français : liberté, égalité, fraternité. La liberté, dans ce cas, doit être contrôlée un peu, la liberté technique. Mais l'égalité, surtout. Il faut réduire les conditions des mécaniciens, des ingénieurs et cetera. À la fin, le spectacle, c'est un spectacle quand il y a des dépassements. La course d'aujourd'hui, en Formule 1, c'est impossible. Littéralement impossible.

En F1, il n'y a pas de fraternité. On a perdu l'idée d'humanité.

Jaime Alguersuari Sr

Alors la réflexion de la maxime française manque. Égalité et fraternité. En F1, il n'y a pas de fraternité. Il n'y a pas de fraternité. On a perdu l'idée d'humanité. Absolument perdue. La question humaine n'existe pas, elle a disparu. Et tout le monde est content comme ça ! Tout le monde est content ! Même en football ou dans d'autres sports, c'est vrai que c'est la compétition, mais là, les relations humaines n'existent pas. F1 : manque d'humanité.

Pensez-vous que le calendrier de 21 Grands Prix soit un signe de ce manque d'humanité, les mécaniciens passant beaucoup de temps loin de leur famille ?

Les mécaniciens, et beaucoup d'autres. C'est le problème mineur. Je parle plus au niveau des commandes. Des personnes sans culture. Un minimum de culture et de sensibilité ! On manque de sensibilité.